KINÉSITHÉRAPIE : la naissance d’un mot

Posted by kineblog on March 27, 2010

“Il serait pertinent dans les rapports avec la sociĂ©tĂ© actuelle de substituer le terme de masso-kinĂ©sithĂ©rapie Ă  celui plus juste et conforme de kinĂ©sithĂ©rapie”
Jacques Monet, Lauréat des Académies de Médecine et de Chirurgie

Extrait d’un article publiĂ© dans KinĂ©sithĂ©rapie scientifique N°462, janvier 2006

LA KINESITHERAPIE : la naissance d’un mot
Nous savons grâce à J. DEFRANCE que la gymnastique et l’éducation physique du corps prend sa forme à la fin du 18è me siècle et qu’elle est le produit de divisions, d’alliances et de rapports entre les groupes qui ont pris part à son émergence. Il montre que le combat entrepris autour de l’éducation physique des jeunes enfants, sert le corps médical.

Depuis le début du XIXè me siècle des médecins, des militaires et des gymnastes cherchent à développer et à démontrer le rôle de l’exercice physique appliqué aux organes de l’homme. Nouveau produit culturel, la gymnastique est centrée sur des considérations qui s’appliquent, aux militaires aux civils et aux enfants et devient « une production politique ». La gymnastique gagne du prestige et son caractère hygiénique puis thérapeutique prend de l’extension, malgré le débat ouvert entre ses partisans et ses opposants. Tout au long du XIXème siècle, la gymnastique en voie de légitimation et d’autonomisation, s’institutionnalise, en France et à l’étranger, à l’exemple de la Suède et de l’Allemagne ; elle devient une discipline obligatoire à l’école et à l’armée. Elle se développe en ville dans des gymnases dans le domaine de l’hygiène et de l’orthopédie instrumentale, mécanique et manuelle, domaine que très tôt médecins, chirurgiens, gymnastes et profanes ont investi. Mais l’intérêt pour les médecins est d’obtenir une sorte d’exclusivité théorique en défendant la gymnastique comme moyen thérapeutique notamment en orthopédie et de superviser son enseignement. La pénétration du champ médical s’effectue par le biais comme pour le massage, par des multiples rubriques de l’hygiène dont les médecins initiateurs, favorables à des exercices adaptés aux contraintes du corps malade, sont à la recherche d’une application différente de la gymnastique stricte, trop brutale voire acrobatique. La production de modèles mécaniques permet de justifier la prise en compte de la motricité, de la posture et une pédagogie du mouvement.
Les médecins proposent une application rationnelle qui, non seulement améliore les diverses fonctions du corps humain, c’est-à-dire la santé, mais encore peut guérir des maladies. Le développement des « exercices corporels dans leurs modalités compétitives, pédagogiques, hygiéniques…qui prennent la forme de systèmes de pratiques rationnelles », et « des entrepreneurs d’orthopédie et de gymnastique corrective », vont contribuer à renforcer le corps sain et soutenir le corps malade étant entendu que « santé, bien-être, moralité, régénération des races affaiblies…tout se tient ».

La médecine devient le véritable moteur de la légitimation et de la diffusion des pratiques, au moment où la gymnastique se différencie, à la recherche des modèles. La gymnastique suédoise en est un exemple, elle séduit les médecins investis dans la gymnastique car elle se fonde sur des bases anatomo-physiologiques. Elle est dans la mouvance de la recherche médicale du moment que le Dr F. LAGRANGE, G. DEMENŸ et le Dr P. TISSIE vont importer en France en l’étudiant dans le pays d’origine dans les années 1890. Cette gymnastique nécessite un encadrement dans le domaine de l’application thérapeutique, se démarquant des autres modèles. La présence d’un gymnaste est nécessaire pour faire et contrôler le mouvement imposé au malade.
C’est dans ce contexte, que le terme de kinésithérapie est repris par le Dr Dujardin- Beaumetz, dans son enseignement à l’hôpital Cochin en 1887 pour désigner une gymnastique thérapeutique adaptée aux traitements des maladies terme préférable à celui de gymnastique, terme trivial pour le monde médical.

Le mot kinésithérapie date en fait de 1847, il est formé de kinési élément tiré du grec mouvement et de thérapie qui fournit le second élément de nombreux termes médicaux.
Son créateur le gymnaste suédois A. GEORGII28 l’utilise pour désigner le traitement des maladies de l’appareil de soutien par des mouvements imposés combinés au massage. Les DALLY père et fils (1857) propose le terme de cinésiologie pour réunir toutes les connaissances qui se rapportent aux mouvements et à l’exercice du corps humain. Cette science évoque par une plus grande clarté étymologique les exercices du corps évoquant le mouvement fonctionnel et non l’idée de nudité qu’évoque la gymnastique (gumnos en grec signifie : nu). Elle recouvre d’après son auteur, l’art du mouvement éducationnel de l’appareil locomoteur, la gymnastique médicale, ou cinésithérapie qui pour lui, est plus correcte que kinésithérapie.

Pour LITTRE (1866), kinésithérapie est un terme de médecine qui désigne un procédé de gymnastique consistant à provoquer des mouvements pendant que l’on s’oppose à leur raccourcissement et à exercer des tractions sur eux pendant qu’ils se sont raccourcis.
C’est aussi le mot choisi par le gymnaste N. LAISNE, créateur des services de gymnastique dans les hôpitaux parisiens promoteur de l’application thérapeutique des
exercices, du massage et des frictions à la guérison de quelques maladies : il adopte la définition de Littré dans son Dictionnaire de médecine : « Kinésithérapie ou guérison par le mouvement… ».

Dès le dĂ©but du XXè me siècle, le terme de kinĂ©sithĂ©rapie est contestĂ© par le monde mĂ©dical savant, les professeurs de la facultĂ© de mĂ©decine de Paris lui prĂ©fèrent celui de cinĂ©sithĂ©rapie, mais l’usage de ce terme est rĂ©futĂ© par le Dr STAPFER spĂ©cialisĂ© en gynĂ©cologie, auteur d’une mĂ©thode de kinĂ©sithĂ©rapie gynĂ©cologique d’inspiration suĂ©doise, qui associe le massage et la gymnastique. En 1891, ce mĂ©decin, prĂ©occupĂ© de trouver un mot exprimant l’ensemble de la mĂ©thode, rejette massothĂ©rapie Ă©quivalent de massage ainsi que gymnastique qui reprĂ©sente comme le massage ou la massothĂ©rapie la moitiĂ© de la mĂ©thode. Il propose le terme de kinĂ©sithĂ©rapie dont il pense ĂŞtre le crĂ©ateur. Stapfer n’est que le père adoptif et combatif d’un mot hirsute, rĂ©barbatif, mais très correct. Il soumet la construction du mot Ă  M. PERROT, secrĂ©taire perpĂ©tuel de l’AcadĂ©mie des Inscriptions et Belles Lettres, hellĂ©niste rĂ©putĂ©. La rĂ©ponse fut : « dites sans hĂ©sitation kinĂ©sithĂ©rapie ».
La kinésithérapie dont la construction du mot sera de manière cyclique récusé ou accepté par le monde médical savant, « est la thérapeutique par le mouvement, elle comprend plusieurs formes d’application : le massage, les mouvements passifs, les mouvements actifs ». Le terme de kinésithérapie dont le choix n’est pas sans arrière pensée renforce par son origine grecque le caractère médical de cette nouvelle pratique, la situe d’emblée dans la thérapeutique, exclusivité médicale. La composition du mot qui nécessite quelques éclaircissements pour le profane démontre aussi une certaine complexité de la méthode que l’on tente de cerner. En 1906, au Congrès pour la répression de l’exercice illégal de la médecine, le Dr MESNARD, Président de la SOCIÉTÉ DE KINÉSITHÉRAPIE, confirme les rapports entre le massage et la gymnastique médicale « la kinésithérapie ou massothérapie consiste dans l’application, au traitement des maladies, du mouvement sous toute ses formes passif et actif » mais reconnaît que si le mot paraît simplement barbare, il ne dit rien aux gens du monde qui possèdent des représentations erronées notamment sur le gymnaste - homme porteur de haltères et de trapèze - et la gymnastique - exercices de force et d’équilibre -.
Comme on le voit la signification du mot est prise dans une polémique sémantique qui caractérise l’application de l’exercice et du mouvement adapté au traitement des maladies, mouvement actif avec ou sans instrument et le mouvement passif qui peut comprendre le massage. La polysémie du terme kinésithérapie et les représentations qui s’y rattachent (gymnaste, acrobate, spectacle), laisse une ambiguïté quant à la précision des techniques et méthodes qu’elles recouvrent. Cet état peut expliquer le distance prise par le monde médical savant en regard de ces méthodes dont les bases scientifiques sont déficientes.

Cependant, on note que lorsque les médecins ont recours à des formes de gymnastique et de massage dans le traitement des maladies, l’appellation des méthodes subit des transformations. Les mots massage ou gymnastique évoluent vers massothérapie et kinésithérapie ; seuls les chirurgiens ou les médecins praticiens conservent le terme populaire de massage et de gymnastique appliqué à la maladie à traiter ; comme le traitement des fractures par le massage, la gymnastique dans le traitement des déviations vertébrales.
Il serait pertinent dans les rapports avec la société actuelle de substituer le terme de masso-kinésithérapie à celui plus juste et conforme de kinésithérapie

> lire CONSTRUCTION HISTORIQUE D’UNE SPECIALISATION MEDICALE IMPOSSIBLE : la kinésithérapie 14 pages au format pdf

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Comments

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  1. raph Sun, 28 Mar 2010 22:09:35 CEST

    avec en corolaire la fin du soit-disant monopole du massage ?

    merci pour cet article

  2. gourgues Tue, 30 Mar 2010 16:00:03 CEST

    Il y a belle lurette que le” monopole ” du massage est perdu-en fait- et souvent les faits prĂ©cèdent le droit.Le scandale consiste,de la part de nos syndicats ,Ă  faire croire qu’ils sont encore capables de le dĂ©fendre!.

  3. raph Wed, 31 Mar 2010 10:02:08 CEST

    “Le scandale consiste,de la part de nos syndicats ,Ă  faire croire qu’ils sont encore capables de le dĂ©fendre” : et de l’Ordre !

    http://www.cdomk31.fr/?q=node/85

  4. raph Wed, 09 Jun 2010 07:13:07 CEST