Placebo: quel soignant ĂŞtes-vous?

Posted by kineblog on April 28, 2008

Extrait aux forceps de l’excellent site Rhumatologie en pratique :
L’abĂ®me sous les certitudes
juin 2002 rév. 2006

Quel soignant ĂŞtes-vous?
C’est une question aussi importante pour le mĂ©decin que juger de l’Ă©tat de ses connaissances.
Notre formation repose sur une sĂ©quence en bĂ©ton: Faire le bon diagnostic. Administrer le traitement adĂ©quat, fondĂ© sur les preuves. S’assurer de son efficacitĂ© et de son innocuitĂ©. PrĂ©venir les rĂ©cidives.
Le jeune mĂ©decin dĂ©couvre rapidement une rĂ©alitĂ© beaucoup moins solide. Mais nous allons voir Ă  quel point un abĂ®me s’ouvre sous ces certitudes.

L’effet placebo ne s’arrĂŞte pas Ă  une construction mentale. Il a des consĂ©quences physiologiques parfaitement mesurables. L’anti-douleur placebo dĂ©clenche une sĂ©crĂ©tion d’endorphines. Une fausse aspirine donnĂ©e pour soulager l’inflammation fera de mĂŞme, mais dĂ©clenchera d’authentiques ulcères si elle est donnĂ©e pour tester ses effets indĂ©sirables (nocebo). le recours au mĂ©dicament n’est pas nĂ©cessaire. Dans d’autres cultures moins axĂ©es sur ce support thĂ©rapeutique, le patient guĂ©rit grâce aux incantations du guĂ©risseur ou meurt de sa malĂ©diction, de façon tout Ă  fait rĂ©elle et constatĂ©e par des occidentaux peu crĂ©dules. Imaginons un instant la cascade de rĂ©actions physiologiques mises en jeu et l’intĂ©rĂŞt que reprĂ©senterait pour un thĂ©rapeute d’en prendre le contrĂ´le.
Mais la mĂ©decine allopathique a surtout cherchĂ© Ă  isoler l’effet placebo, jamais Ă  l’Ă©tudier dans le but de s’en servir. De grosses barrières Ă©thiques l’entravent. Les mĂ©decines alternatives elles, s’en servent sans le dire (c’est beaucoup plus efficace ainsi) mais sans l’Ă©tudier non plus, par manque de moyens, et de distance de vue: les thĂ©rapeutes Ă  “mode d’exercice particulier” sont souvent radicalisĂ©s dans leur pratique par le rejet des allopathes. Bons mĂ©caniciens (les ostĂ©opathes), excellents entraĂ®neurs d’effet placebo (ils sont totalement persuadĂ©s de la justesse de leur exercice), ils n’ont pas toujours les qualitĂ©s d’ingĂ©nieur et de thĂ©oricien qui les raccrocheraient Ă  la pseudo-science mĂ©dicale. Il faut dire Ă  leur dĂ©charge que les allopathes conservateurs ont beau jeu de pointer leurs travers radicaux pour enterrer les points intĂ©ressants de leur discours. La mĂ©thode… Un musicien expĂ©rimental qui veut vendre son disque sait qu’il a intĂ©rĂŞt Ă  mettre un morceau plus proche des canons du Top 50. Il amènera ainsi un public beaucoup plus large Ă  Ă©couter le reste…

Le professeur des hĂ´pitaux joue Ă  fond de l’effet placebo. Les cartĂ©siens font partie des plus convaincus de la justesse de leurs analyses. Cette foi influence considĂ©rablement le patient. MĂŞme s’il ne comprend rien au langage trop technique qui lui est servit, il sait que sa maladie a Ă©tĂ© dĂ©montĂ©e dans ses plus petits rouages, que chaque argument a Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ© et contre-vĂ©rifiĂ© par des Ă©tudes inattaquables. Cette sommitĂ© scientifique est en train de lui lire l’Evangile. Tout ce qui a Ă©tĂ© notĂ© sur l’ordonnance sera mĂ©ticuleusement suivi. Le prochain rendez-vous sera attendu avec impatience pour faire constater l’amĂ©lioration. AmĂ©lioration dĂ©jĂ  acquise avant ce premier rendez-vous. Et rĂ©elle. C’est le principe de l’effet placebo. Le patient s’auto-amĂ©liore.
Bien sĂ»r je parle ici du patient qui a rĂ©clamĂ© et attendu, parfois longtemps, son rendez-vous. Si vous envoyez chez votre patron un client qui n’en a rien Ă  faire, qui ne sait mĂŞme pas dans quel Temple il se trouve, qui s’offusque de passer 2 heures dans la salle d’attente, et qui fait plus confiance Ă  son rebouteux: c’est perdu d’avance! Votre patron sait d’ailleurs Ă  quoi s’en tenir dès l’entrĂ©e en scène de l’individu, va se montrer expĂ©ditif, et risque de vous en garder rancune. SĂ©lectionnez donc bien les patients que vous lui envoyez!
Mon ancien patron, GĂ©rard Kaplan, avait d’immenses qualitĂ©s humaines. Son Ă©thique lui interdisait d’utiliser l’effet placebo. Il l’assimilait de façon manichĂ©enne, comme beaucoup de ses collègues, Ă  une tromperie. Mais il y touchait sans en avoir l’air, avec beaucoup de rĂ©ussite. Par exemple il prescrivait dans les douleurs arthrosiques du ProtĂ©osulfan, un produit peu connu. C’est une association de faible dose d’aspirine et de soufre. Un calmant bien connu, plus le soufre prĂ©sent dans les eaux thermales parĂ©es de moult vertus. Du pipeau pour la mĂ©decine fondĂ©e sur les preuves. Les patients Ă©taient pourtant bien mieux soulagĂ©s que par des anti-inflammatoires pharmacologiquement plus puissants. Et il y aurait mis davantage de conviction…

Les scientifiques sont eux aussi soumis Ă  l’effet placebo… de la validitĂ© de leurs Ă©tudes. Alors que les mieux informĂ©s savent que peu de ces Ă©tudes fondĂ©es sur les preuves, le sont vraiment. Une Ă©tude sur les articles du Lancet a montrĂ© qu’Ă  peine un tiers des articles publiĂ©s, donc analysĂ©s en dĂ©tail par un des comitĂ©s rĂ©dactionnels les plus sĂ©vères de la presse scientifique, passait l’examen de statisticiens professionnels. Ils savent aussi que les patients inclus dans les Ă©tudes, ne se comportent pas comme ceux qui seront soignĂ©s plus tard d’après ces rĂ©fĂ©rences. Ils connaissent les inquantifiables effets Hawtorne, Henry et Pygmalion***. Ils connaissent la frĂ©quence des erreurs humaines dans le recueil des donnĂ©es. Ils savent qu’il n’existe pas de mĂ©thode expĂ©rimentale adaptĂ©e aux traitements physiques, dont on sait Ă©valuer la quantitĂ© mais pas la qualitĂ© (comment dĂ©terminer si une manipulation a Ă©tĂ© correctement dĂ©cidĂ©e et appliquĂ©e?). Ils connaissent les limites de la mĂ©ta-analyse, qui sous prĂ©texte de diluer les erreurs d’Ă©tudes contradictoires, donne forcĂ©ment des conclusions plus erronĂ©es… que la plus fiable de ces Ă©tudes.
N’en parlons pas. C’est tout l’effet placebo de la mĂ©decine “scientifique” qui disparaĂ®trait. Mais n’oublions pas que la mĂ©decine n’est pas une science.
Le mĂ©decin est lui-mĂŞme soumis Ă  des effets placebos. Il faut qu’il administre ses certitudes infondĂ©es avec la plus totale conviction. Surtout quand il s’agit de vendre du mĂ©dicament. L’industrie pharmaceutique a mis en place une lourde machinerie pour bĂ©tonner le support de son ordonnance et lui Ă©viter tout Ă©tat d’âme. Elle agit Ă  tous les niveaux. La presse mĂ©dicale est entièrement sous sa coupe (Ă  part un petit village gaulois, Prescrire, qui rĂ©siste encore Ă  l’envahisseur). La bible du mĂ©dicament, le Vidal, est travaillĂ©e jusqu’Ă  sa moindre ligne pour que les mĂ©dicaments soient prĂ©sentĂ©s sous leur jour le plus favorable, en Ă©vitant l’omission ou le mensonge grossier. La recherche, financĂ©e par l’industrie, cible outrancièrement les pilules au dĂ©triment des alternatives thĂ©rapeutiques. Les grands congrès ne sont qu’une fĂŞte pour le mĂ©dicament. Le mĂ©decin qui souhaite se former aux autres thĂ©rapeutiques doit financer son inscription Ă  de petits congrès confidentiels, tandis que son collègue franchit gratuitement les ocĂ©ans pour de superbes vacances, environnĂ© d’affiches de personnages merveilleusement bien conservĂ©s par les pilules Ă  bonheur. A son retour, alors qu’il reprend brutalement contact avec le train-train quotidien, le dĂ©lĂ©guĂ© mĂ©dical s’empresse de venir lui rappeler grâce Ă  quoi il a pu s’aĂ©rer l’esprit. Et… lui fournit mĂŞme le stylo pour continuer Ă  prescrire.
Caricature? Savez-vous que:
-Les dĂ©lĂ©guĂ©s mĂ©dicaux tiennent des fiches sur le profil psychologique du mĂ©decin pour dĂ©finir le meilleur angle d’action sur sa pratique. Le pratricien, peu au fait des techniques de psycho-induction utilisĂ©es dans la vente, est une proie rĂŞvĂ©e mĂŞme quand il se croĂ®t impermĂ©able Ă  toute influence.
-Les noms de mĂ©dicaments, l’intitulĂ© de leur mode d’action, de la fiche complète du Vidal en fait, est soumis Ă  des tests auprès d’un panel de mĂ©decins pour vĂ©rifier qu’ils y rĂ©agissent favorablement. Le choix des chiffres extraits des Ă©tudes est particulièrement Ă©tudiĂ©, pour que les prescripteurs y voient des valeurs significatives. Le mĂ©decin ayant rarement “Les statistiques pour les nuls” comme livre de chevet, on lui fait avaler la couleuvre que l’on veut. Rien n’est faux. Cela apparaĂ®t juste plus spectaculaire que ça ne l’est en rĂ©alitĂ©. Et puis, on omet le moins favorable.
-On a pu voir des molĂ©cules, dotĂ©es de diffĂ©rents effets pharmacologiques, commercialisĂ©es selon une nĂ©cessitĂ© de marketing: SĂ©dation, hypotension, pousse des cheveux.. une fois tout ceci dĂ©couvert au labo, l’industriel choisit de positionner le produit comme somnifère, parce qu’il a dĂ©jĂ  un anti-hypertenseur en rayon. La pousse des cheveux et l’hypotension deviennent des “effets indĂ©sirables”. Une bonne politique marketing a vite fait d’enluminer l’effet recherchĂ© et de gommer les autres. Facile. Il ne viendrait guère Ă  l’idĂ©e du mĂ©decin qu’un effet “indĂ©sirable” puisse ĂŞtre l’effet principal! Trop gros! Et pourtant…

L’effet physiologique du placebo peut ĂŞtre obtenu mĂŞme sans le placebo. J’en ai eu personnellement la dĂ©monstration. Une patiente très particulière (diagnostic psychiatrique d’Ă©tat limite), faisait des allergies Ă  tous les mĂ©dicaments. Bien sĂ»r son attitude suffisait Ă  indiquer qu’elle ferait des effets indĂ©sirables Ă  toute nouvelle prescription. N’importe quel mĂ©decin l’aurait compris, sauf celui qui a des peaux de saucisson Ă  la place de verres de lunettes. J’avais des peaux de saucisson la première fois que je l’ai rencontrĂ©e. Elle a Ă©tĂ© gentille. Elle n’a fait qu’un petit urticaire, qui ne la dĂ©mangeait pas trop, m’a-t-elle dit. Elle m’aimait bien. Elle m’a pris sous le coude et m’a confiĂ© qu’elle Ă©tait capable de se sortir une belle Ă©ruption quand elle le voulait! IncrĂ©dule, je voulus en rire. Elle dĂ©clencha immĂ©diatement un superbe urticaire Ă©tendu sur ses 2 bras. Elle Ă©tait en manches courtes. L’instant d’avant sa peau Ă©tait impeccable. En quelques secondes elle fit naĂ®tre de superbes papules Ă©rythĂ©mateuses absolument caractĂ©ristiques, dont je palpais les reliefs avec les yeux Ă©carquillĂ©s.
Elles furent plus longues Ă  disparaĂ®tre. Mais au bout d’une heure, m’affirma-t-elle, il n’y aurait plus rien.
A force de ressentir un effet nocebo lors de multiples prescriptions au fil des années, elle avait fini par prendre le contrôle conscient de sa réaction.

Nous voici au bord de l’abĂ®me. Face Ă  des patients qu’il faut leurrer pour qu’ils s’amĂ©liorent. Et leurrĂ©s nous-mĂŞmes, par ceux qui nous vendent des glaives, que nous pensions d’acier trempĂ©, en fait de cristal: très beaux… mais qu’il vaut mieux ne pas mettre sĂ©rieusement Ă  l’Ă©preuve.
Otez le noeud coulant de votre gorge et discutons.
Ouvrons le grand dĂ©bat que devraient tenir toutes les composantes de la sociĂ©tĂ©, soignantes ou non, diplĂ´mĂ©es ou non: Est-il Ă©thique d’utiliser l’effet placebo en connaissance de cause, sans le rĂ©vĂ©ler au patient, ce qui en dĂ©truirait le bĂ©nĂ©fice?
En attendant la réponse, à quoi se raccrocher?

Il y a en fait des certitudes:
-Certains patients viennent vous voir rĂ©gulièrement. Au moins, ceux-lĂ , vous leur apporter ce qu’ils attendent, quelle que soit la mĂ©thode que vous employez.
-Si vos certitudes se fissurent, celles de vos patients sont encore plus floues. Soyez heureux d’ĂŞtre le radeau de fortune au milieu des sables mouvants. Vos malades sont bien contents d’ĂŞtre Ă  bord.
-Il serait bien plus intĂ©ressant pour vous de savoir ce qui a déçu ceux qui ne reviennent pas. Vous auriez bien des surprises. Peut-ĂŞtre quelques erreurs diagnostiques Ă©mergeraient-elles. Le gros des motifs serait que vous avez trop ou pas assez expliquĂ©, avez eu l’air trop ou pas assez sĂ»r de vous. Vous n’avez pas Ă©tĂ© dans le rĂ´le qu’attendait le patient pour ĂŞtre persuadĂ© qu’il allait guĂ©rir.
Ne croyez pas qu’il faille passer plus de temps Ă  expliquer votre dĂ©marche… ou envoyer vos patients sur le site Rhumatologie en Pratique! Souvent le patient attend au contraire que vous teniez fermement les rènes. Celui qui attend un cours de mĂ©decine, bloc-notes Ă  la main, n’est pas reprĂ©sentatif de l’ensemble de votre patientèle, mĂŞme s’il fait partie des plus envahissants. Le malade qui veut tout savoir est une fabrication des mĂ©dias. N’hĂ©sitez pas Ă  utiliser un vocabulaire technique abscons pour reprendre la main. Vous rendrez service Ă  ce patient. En fait il ne peut que s’inquiĂ©ter de sembler en savoir autant, voire plus, que son mĂ©decin.
-Toutes les maladies sont connues. Peu ont reçu une explication complète. Mais nous, piĂ©taille mĂ©dicale, n’avons aucune chance de rencontrer une maladie inconnue. Nous n’en avons dĂ©jĂ  guère de rencontrer une multitude de maladies rares apprises docilement Ă  l’universitĂ©. Notre boulot est donc simplement de dĂ©terminer la bonne case pour le patient. On peut regretter que ces cases aient Ă©tĂ© fabriquĂ©es par des hospitaliers et soient parfois inadaptĂ©es Ă  la mĂ©decine de ville. Je n’ai pas hĂ©sitĂ© Ă  en crĂ©er de supplĂ©mentaires et vous en ferai profiter sur ce site.
-Quelle que soit la thĂ©rapeutique que vous utiliserez, la façon dont le patient la perçoit est dĂ©terminante pour le rĂ©sultat. S’il a mauvaise opinion des anti-inflammatoires, situation de plus en plus rĂ©pandue, vous ĂŞtes en train de prescrire un nocebo. S’il a entendu dire sur internet que tel traitement de l’arthrose est gĂ©nial, il vous propose lĂ  une prescription sans doute pharmacologiquement inactive, mais très placebo-active. DĂ©cryptez cependant son attitude, car il est possible qu’il n’y croie guère en fait et vous demande de confirmer que c’est bidon. Rassurons-nous, les patients nous connaissent et viennent nous voir parce que nos opinions leur conviennent. Nous n’avons gĂ©nĂ©ralement pas besoin d’en changer. Parfois, le patient se dĂ©brouille mal et n’a pas choisi le meilleur endroit. C’est Ă  nous de l’orienter, mĂŞme Ă  l’encontre de nos croyances. Je ne suis personnellement pas très douĂ© pour faire de la patamĂ©decine, mais cela m’arrive d’envoyer des patients chez des homĂ©os ou des Ă©nergĂ©tiseurs, avec succès quand j’ai bien jugĂ© leur profil.
ConnaĂ®tre le patient est fondamental. On ne peut pas s’arrĂŞter Ă  sa fiche administrative. On ne peut pas supposer que ses douleurs sont influencĂ©es par des difficultĂ©s personnelles quand on ne connaĂ®t rien de sa vie. DĂ©finir son profil est indispensable pour appliquer correctement des effets placebos. A l’heure actuelle le mĂ©decin en a très peu la maĂ®trise en fait. C’est le patient qui choisit, avec plus ou moins de bonheur, son placebothĂ©rapeute, en fonction de ce qu’il a entendu dire de sa pratique.

Etre placebothĂ©rapeute est très dangereux. On peut finir par ne plus voir que la technique et oublier notre rĂ´le, qui est celui de diagnosticien. C’est difficile. C’est tout sauf routinier. Cela demande une amĂ©lioration permanente. Pourquoi aller apprendre des techniques placebo quand on ne connaĂ®t pas encore parfaitement son anatomie et ses arbres diagnostiques? Pourquoi ĂŞtre dĂ©jĂ  en train de traiter alors qu’on a une vague idĂ©e seulement de ce que l’on traite? Combien de patients prennent des traitements “tests”, en attendant leur rendez-vous de scanner ou d’IRM? Le mĂ©decin de famille est-il devenu un secrĂ©taire mĂ©dical, canalisant ses administrĂ©s vers l’oracle de l’examen complĂ©mentaire, que tout le monde attend avec ferveur?
La mĂ©decine en tout cas n’a plus rien d’une famille. Querelles entre MG et spĂ©, hospitaliers et libĂ©raux, corporatistes et anti-corporatistes, sĂ©cu et syndicats. Nous manquons cruellement d’une politique de santĂ© proposĂ©e par les mĂ©decins. Nous n’avons qu’un gendarme conservateur, l’Ordre, alors que la profession nĂ©cessite une concertation permanente adaptĂ©e aux rapides changements culturels. Sortons-nous de notre propos? Non, car l’effet placebo n’est pas facile Ă  appliquer en milieu ouvert et mĂ©diatisĂ©. Trop de doutes. De la part de l’autre mĂ©decin consultĂ©, qui “n’est pas sĂ»r que ce soit une tendinite”. De la part du radiologue, qui devant ses radios normales conseille une IRM. De la part de la voisine, qui dit Ă  votre patient de boire plus. De la part du forum internet, qui propose une centaine d’autres interprĂ©tations. Si dĂ©jĂ  les mĂ©decins avaient le mĂŞme discours… Ou redressaient le diagnostic sans altĂ©rer la confiance du patient. Tout un art…

Enorme problème que l’incertitude: de très nombreux patients ne guĂ©rissent pas… parce qu’ils ne sont pas sĂ»rs de ne rien avoir. Pour leur administrer nos certitudes, car toute maladie est connue, et ĂŞtre un bon placebothĂ©rapeute, il faut… Ă©liminer.
Travail de dĂ©tective et non pas de publiciste pour eau minĂ©rale. Les bons mĂ©decins sont les bons enquĂŞteurs. Pas celui qui se prĂ©cipite au cours d’une consultation Ă  2 balles (et de 2 minutes), dès les premiers mots du patient, en hurlant (mentalement) “je sais! je sais!”. Celui qui cherche ce qui est moins Ă©vident. Ce qui va rendre le crime moins banal. Indices Ă  dĂ©couvrir avec les bonnes questions. Et en examinant le corps du dĂ©lit. La mĂ©decine est un travail de fourmi. Les meilleurs critères sont les signes nĂ©gatifs. Les diagnostics les plus sĂ»rs sont les impossibles. Eliminez. De la mĂŞme façon que je vous fournirai des cases adaptĂ©es Ă  la mĂ©decine de ville, vous aurez pour chaque symptĂ´me la liste des candidates Ă  Ă©liminer. La seule chose que vous ne trouverez pas sur ce site, c’est la pratique de l’examen clinique et des traitements manuels. Vous aurez les règles et les vidĂ©os. Mais un toucher s’Ă©duque sur de longs mois et annĂ©es. Compagnonnage et Ă©changes restent indispensables. Ciblez les ateliers pratiques pour votre formation, plutĂ´t que les grands amphis de congrès, dont vous trouvez facilement l’enseignement sur internet.

Est-il Ă©thique d’administrer un effet placebo en connaissance de cause, et en toute ignorance du patient?
Non si vous ĂŞtes encore persuadĂ© que le placebo est une tromperie et ne traite pas rĂ©ellement. J’espère que cet article vous a convaincu du contraire. Vous rendez service Ă  la personne en lui permettant de s’auto-amĂ©liorer, Ă  partir du moment oĂą votre diagnostic est bon. C’est plutĂ´t lĂ  que les efforts sont Ă  faire. Vous devez surtout apprendre Ă  reconnaĂ®tre ce que les gens ne peuvent pas auto-amĂ©liorer, une coronaire rĂ©trĂ©cie, une infection, un granulome dentaire, une tumeur vertĂ©brale…
La tromperie n’est pas d’administrer un placebo, mais de ne pas avoir examinĂ© son patient et d’avoir ratĂ© le diagnostic. Ce ne sont pas forcĂ©ment les signes objectifs qui sont nĂ©gligĂ©s. Un chirurgien qui opère un lombalgique en accident du travail sans avoir recherchĂ© activement Ă  l’interrogatoire des signes de “rachis refuge”, est fautif.
DĂ©finir l’Ă©thique du placebo n’est pas l’apanage du mĂ©decin. Le rĂ´le des chercheurs, loin d’ĂŞtre rempli, est de prĂ©ciser son mode d’action et ses limites. Après, c’est Ă  la sociĂ©tĂ© de dire si la non-information est Ă©thique. On peut craindre le rĂ©sultat des dĂ©libĂ©rations dans l’ambiance de sĂ©curitite aiguĂ« actuelle. Mais on ne peut contraindre les gens Ă  se faire soigner, y compris par effet placebo.
En fait, bienheureux sont ceux qui continuent Ă  avoir une foi aveugle dans leurs placebothĂ©rapies. Ils Ă©vitent les questions existentielles. Ils conservent leur efficacitĂ©, tant que leur placebo n’est pas dans le collimateur (aie aie, le dĂ©remboursement de l’homĂ©opathie… il aurait mieux valu qu’elle n’aie jamais Ă©tĂ© remboursĂ©e).

Peut-ĂŞtre n’auriez-vous pas du lire cet article?
Mais si le mĂ©decin ne se pose pas de questions, qu’est-ce qui empĂŞchera de nous remplacer par une grosse IRM Ă©quipĂ©e d’un logiciel de diagnostic?

***Biais expérimentaux inhérents à toute étude:
-L’effet Hawtorne est l’effet, gĂ©nĂ©ralement favorable, d’une intervention sur une personne, uniquement liĂ© Ă  sa participation Ă  la recherche.
-L’effet Henry ressemble au Hawtorne mais concerne le groupe contrĂ´le: sachant qu’une intervention est effectuĂ©e sur le groupe expĂ©rimental, les contrĂ´les semblent refuser de “perdre la face” et montrent une amĂ©lioration. Cet effet est diminuĂ© par l’aveugle, mais la qualitĂ© de cet aveugle devrait ĂŞtre testĂ©e dans toutes les Ă©tudes, car si elle est bonne pour un placebo mĂ©dicamenteux, elle est mĂ©diocre pour un traitement physique.
-L’effet Pygmalion, très proche du classique effet placebo, mais qui concerne mĂŞme les contrĂ´les sur lesquels aucune action est exercĂ©e: la prĂ©diction d’une amĂ©lioration la fait survenir. Cet effet concerne les maladies censĂ©es Ă©voluer favorablement (la lombalgie aiguĂ« par exemple) oĂą l’on teste un traitement amĂ©liorant plus spectaculairement (la manipulation): les contrĂ´les, qui n’ont rien subi, ont une Ă©volution plus favorable car on leur a prĂ©dit de toute façon leur amĂ©lioration. Cet effet liĂ© Ă  l’expĂ©rimentateur imposerait une ignorance totale des groupes sur l’enquĂŞte et la maladie Ă©tudiĂ©e, difficilement compatible avec le consentement Ă©clairĂ©.

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