Les médecines complémentaires en Europe
Lu dans les commentaires déposés sur le site liberationdelacroissance (commission Attali):
REGLEMENTATION ET DROIT D’EXERCER DES MEDECINES DIFFERENTES
Voici un dossier du magazine Nouvelles ClĂ©s sur la situation des mĂ©decines en europe. Voir la personne dans sa totalitĂ© et pratiquer des valeurs de paix, de partage, de responsabilitĂ©, de respect de soi, de l’autre et de l’environnement. Oui je crois que cela mĂ©rite que l’on bouscule ceux qui en empĂȘchent la pratique.
Les médecines complémentaires en Europe
Par Sylvain Michelet.
Dans lâEurope de la mĂ©decine, tout diffĂšre : systĂšmes de santĂ©, dĂ©finitions et pratiques mĂ©dicales, pharmacopĂ©es, influence des patients, des mĂ©decins et des industriels auprĂšs des autoritĂ©s, ouverture aux thĂ©rapies alternatives. Jusquâau statut lĂ©gal du mĂ©decin lui-mĂȘme, qui reste pourtant le seul Ă©lĂ©ment de comparaison ne demandant pas une redĂ©finition pour chaque pays. Car actuellement, tout change. Ainsi, ne dites plus âmĂ©decines doucesâ (certaines ne le sont pas), ni âparallĂšlesâ (elles peuvent se rencontrer), ni mĂȘme âalternativesâ ou âcomplĂ©mentairesâ (cela reste Ă dĂ©finir). Le terme officiel dĂ©sormais : âmĂ©decines non-conventionnellesâ.
Seulement trois points communs
Le premier point fleure bon le Moyen Age : partout en Europe, la pratique de la mĂ©decine ambulante est expressĂ©ment interdite. Qui veut soigner doit sâinstaller. Le second rappelle MoliĂšre : partout, la loi protĂšge le titre de docteur en mĂ©decine. Le troisiĂšme dessine un avenir : partout, lâinfluence exercĂ©e sur la sociĂ©tĂ© par le lobby pharmaceutique et la pensĂ©e mĂ©dicale allopathique semble faiblir.
ProgrÚs des médecines alternatives
La pression du public se confirme, dans les sondages dâopinion comme dans lâusage en constante augmentation. De plus, les considĂ©rations budgĂ©taires incitent les autoritĂ©s Ă prendre en compte les avantages de ces thĂ©rapies souvent moins coĂ»teuses. Question : serviront-elles de cheval de Troie aux dĂ©manteleurs du systĂšme de prise en charge collective ou contribueront-elles Ă sa sauvegarde ?
Des pays de tradition libérale plus ou moins rÚglementée
En IRLANDE et au ROYAUME UNI, en vertu du droit coutumier, la libertĂ© de soigner est totale. Seules interdictions : la pratique ambulante et lâusurpation du titre de medical doctor. En 1993 et 94, le ROYAUME UNI a rĂ©glementĂ© lâostĂ©opathie et la chiropractie, avec protection officielle des titres et organisation de chaque profession. Un Conseil Ă©dicte un code de bonne conduite et contrĂŽle les formations. Il en sera bientĂŽt de mĂȘme pour la phytothĂ©rapie et lâacupuncture. Cette politique dâintĂ©gration des thĂ©rapies alternatives dans le systĂšme de santĂ© (â integrated healthcare â) bĂ©nĂ©ficie dâun soutien actif de la part du Prince Charles.
En SCANDINAVIE rĂšgne le principe suivant : tout ce qui nâest pas interdit par la loi est autorisĂ©. Sont interdites aux non-mĂ©decins, depuis 1936 en NORVĂGE (outre la pratique ambulante et lâusurpation de titre), la chirurgie, lâanesthĂ©sie, les piqĂ»res, la prescription de mĂ©dicaments soumis Ă ordonnance. La SUĂDE a imposĂ© les mĂȘmes interdictions en 1960, ajoutant le traitement de certaines maladies contagieuses et, en 1982, du cancer. Le DANEMARK a adoptĂ© des lois similaires dans les annĂ©es 70, interdisant en outre la pratique de lâaccouchement et le soin aux mineurs ou aux malades mentaux. Pendant les annĂ©es 90, la chiropractie a Ă©tĂ© lĂ©galement reconnue comme profession de santĂ© dans ces deux pays et en FINLANDE.
LâALLEMAGNE a instituĂ© la libertĂ© de soigner en 1873, mais se distingue par lâinstauration, en 1939, du statut de â Heilpraktiker â (praticien de santĂ©). Aucune formation spĂ©cifique nâest exigĂ©e, mais une autorisation dâexercer ( â Erlaubnis â) impose un examen devant une commission fĂ©dĂ©rale et des interdictions comparables Ă celles des pays nordiques. Les mĂ©dicaments anthroposophiques et homĂ©opathiques sont inclus dans la pharmacopĂ©e nationale et, depuis 1978, une commission spĂ©cifique Ă chacune de ces disciplines a Ă©tĂ© instaurĂ©e au sein du systĂšme fĂ©dĂ©ral de santĂ©. Les ostĂ©opathes, quant Ă eux, bĂ©nĂ©ficieront bientĂŽt dâun statut particulier.
La SUISSE est un cas spĂ©cial. Chaque canton Ă©tant maĂźtre de sa rĂ©glementation mĂ©dicale, elle est traditionnellement plus libĂ©rale en Suisse alĂ©manique quâen Suisse romande. Mais surtout, la chiropractie a bĂ©nĂ©ficiĂ© dĂšs 1937 de statuts spĂ©cifiques. Elle est intĂ©grĂ©e au systĂšme fĂ©dĂ©ral dâassurance maladie depuis 1964, au mĂȘme titre que la mĂ©decine ou lâart dentaire. Diverses thĂ©rapies alternatives sont reconnues localement et remboursĂ©es par les assurances complĂ©mentaires. Depuis deux ans ce mouvement sâaccĂ©lĂšre dans les cantons francophones, qui avaient gĂ©nĂ©ralement abrogĂ© le monopole des mĂ©decins au cours des prĂ©cĂ©dentes dĂ©cennies (1984 pour GenĂšve).
Des pays de traditions restrictive plus ou moins corporatiste
Il y a peu de temps encore, cette tradition atteignait son maximum en BELGIQUE oĂč âlâart de guĂ©rirâ rĂ©servĂ© aux mĂ©decins ne comprenait pas seulement le soin et le diagnostic, comme en France, mais aussi le simple âexamen de lâĂ©tat de santĂ©â ! Tout a changĂ© en 1999 : sans abroger le monopole des mĂ©decins, le pays a instituĂ© un deuxiĂšme systĂšme de soins, en recourant Ă la notion de âpratique ayant pour but dâamĂ©liorer et/ou de prĂ©server lâĂ©tat de santĂ©â. Il regroupe pour lâinstant lâacupuncture, la chiropractie, lâhomĂ©opathie et lâostĂ©opathie en une commission paritaire chargĂ©e de les rĂ©glementer via leurs organisations professionnelles.
Aux PAYS BAS, la âBIG wetâ ou âloi sur les professions du secteur des soins de santĂ© individuelsâ a mis fin en 1993 au monopole des mĂ©decins instaurĂ© depuis 1865. Elle autorise en principe Ă quiconque la pratique mĂ©dicale, mais Ă©numĂšre les actes rĂ©servĂ©s aux mĂ©decins et introduit une disposition pĂ©nale : nuire Ă la santĂ© est passible dâune peine.
La plupart des pays dâEurope du Sud et de lâEst amorcent des changements. Soit par le biais dâune reconnaissance comme spĂ©cialitĂ©s des disciplines alternatives pratiquĂ©es par des mĂ©decins (AUTRICHE en 2002, ITALIE et TCHĂQUIE concertations en cours), ou par la crĂ©ation de nouvelles professions libĂ©rales soumises Ă rĂ©glementation (organisation, formation, contrĂŽle et protection du titre). En ESPAGNE, oĂč la pratique illĂ©gale de la mĂ©decine sâappelle âintruismoâ (intrusion dans une profession protĂ©gĂ©e), ces dĂ©tails ont leur importance : la naturopathie et lâacupuncture ont Ă©tĂ© reconnues par le ministĂšre des Finances en 90. Une autorisation dâouvrir des centres de formation Ă la chiropractie a suivi en 91. Et au PORTUGAL, câest le ministĂšre du Travail qui reconnaĂźt depuis 1994 les professions dâacupuncteur, dâhomĂ©opathe et de naturopathe, tous ânaturologistesâ. Boomerang ! : en 99, un loi interdisant toutes les mĂ©decines alternatives Ă©tait votĂ©e. Le prĂ©sident portugais a mis son veto. Les consultations continuent.
La HONGRIE cherche à y voir clair. Elle dissocie depuis 1997 les techniques alternatives réservées aux docteurs en médecine (homéopathie, médecines manuelle, ayurvédique, tibétaine, chinoise et anthroposophique) et celles ouvertes aux non-médecins (acupression et massage, kinésiologie, physiothérapie, bioénergie, phytothérapie).
La FRANCE nâa pas changĂ©, malgrĂ© les timides dĂ©buts de la commission Nicolas sur lâostĂ©opathie et la chiropractie (2002). Seules lâacupuncture et lâhomĂ©opathie sont reconnues comme orientations mĂ©dicales, mais non comme spĂ©cialitĂ©s. Pour lâOrdre national des mĂ©decins, elles font partie avec les autres mĂ©decines non-conventionnelles des âpratiques mĂ©dicales non-Ă©prouvĂ©esâ qui mĂ©ritent dâĂȘtre, au grĂ© des rapports et des institutions, tantĂŽt dĂ©nigrĂ©es et bannies, tantĂŽt soumises Ă des Ă©tudes⊠jamais prĂ©vues au budget.
Vers une harmonisation européenne ?
Ainsi, on peut pratiquer nâimporte quelle thĂ©rapie en Irlande et au Royaume Uni ? Ainsi un Heilpraktiker allemand commet chaque jour des actes qui lui vaudraient en France une condamnation ? VoilĂ qui fait apparaĂźtre lâarchaĂŻsme de lâexception française, et pousse Ă penser que les mĂ©decines alternatives auront tout Ă gagner, dans ce pays, dâune harmonisation des lĂ©gislations Ă lâĂ©chelle europĂ©enne ! VoilĂ qui montre aussi, au passage, combien un tel regard est finalement français : vu dâIrlande au contraire, cette harmonisation signifiera une perte de libertĂ©. Mais qui voudrait dâune complĂšte libĂ©ralisation ? Et Ă lâĂ©chelle europĂ©enne, quel est lâenjeu, la libertĂ© dâexercer ou lâemprise de la mĂ©decine allopathique ?
Le dĂ©bat contre le blocage statutaire dans tel ou tel pays particuliĂšrement rĂ©trograde ou pour leur reconnaissance par la science et les institutions ? Telles sont les questions qui agitaient les militants de ces mĂ©decines au dĂ©but de la dĂ©cennie 90, lorsque comme leurs homologues de la cause environnementale, ils se sont tournĂ©s pleins dâespoir vers les institutions de lâEurope. LâOrganisation Mondiale de la SantĂ© ne montrait-elle pas lâexemple ? Elle reconnaissait dĂšs 1976 lâimportance des mĂ©decines traditionnelles, dĂ©finies comme liĂ©es Ă une tradition ancienne (comme lâacupuncture et la culture chinoise) et âpar opposition Ă la mĂ©decine scientifique moderne officielle ou allopathieâ(1). De plus, elle forgeait dĂšs 83 le terme bienvenu de âmĂ©decines non-conventionnellesâ pour dĂ©signer celles qui ne sont ni traditionnelles ni allopathiques (comme lâhomĂ©opathie, la kinĂ©siologie ou la mĂ©decine anthroposophique). LâEurope semblait le lieu idĂ©al oĂč porter le dĂ©bat : les diffĂ©rences dâapproches et de droits entre les pays se montraient incompatibles avec la libre circulation des citoyens europĂ©ens instaurĂ©e par le TraitĂ© dans ses articles 52 Ă 66, qui incluent la libertĂ© dâĂ©tablissement pour les praticiens.
Apparaissaient dâautres incohĂ©rences : depuis 92, une lĂ©gislation communautaire spĂ©cifique rĂ©glemente les mĂ©dicaments homĂ©opathiques alors que lâhomĂ©opathie nâest pas reconnue comme une discipline mĂ©dicale. Le dĂ©bat eut bien lieu, au Parlement europĂ©en de Strasbourg comme il se doit. Il prit dâabord la forme, entre 92 et 96, dâune vaste consultation des milieux associatifs et professionnels liĂ©s aux mĂ©decines alternatives, organisĂ©e par la commission de lâenvironnement et de la santĂ©, sous la houlette de Paul Lannoye, dĂ©putĂ© belge Ă©cologiste et docteur Ăšs sciences. Et si nous retrouvons ici le docteur Kempenich, câest parce quâil participa activement aux travaux, en tant que prĂ©sident de la plus grande association de mĂ©decins non-conventionnels en Europe, riche de 43 000 mĂ©decins. âIl nous a fallu dĂ©chanter, raconte-t-il aujourdâhui. Apprendre dâabord que ces consultations ne dĂ©boucheraient en aucun cas sur une proposition de loi, car le Parlement nâa pas cette initiative, mais uniquement celle de ârĂ©solutionsâ invitant la Commission europĂ©enne Ă lĂ©gifĂ©rer.
Voir ensuite le milieu exposer ses dissensions au grand jour, certains mĂ©decins venaient avec leur avocat, craignant la chasse aux sorciĂšres. Et enfin le 27 mai 97, il a fallu voir, rĂ©uni en sĂ©ance plĂ©niĂšre, le Parlement rĂ©duire et dĂ©naturer, dâamendement en amendement, la proposition de rĂ©solution dĂ©fendue par Paul Lannoye. Ce dernier coup fut rude, mĂȘme si nous savions que les parlementaires avaient subi un rude lobbying.â
âLe poids du lobby mĂ©dical a en effet Ă©tĂ© suffisant pour affaiblir dans une large mesure la prise de position politique du parlement, reconnaĂźt le dĂ©putĂ© Paul Lannoye.
En derniÚre minute, un amendement déposé par les députés socialistes français, belges et espagnols a été voté de justesse, supprimant du texte de la résolution toute demande relative à une législation communautaire.
CâĂ©tait lâexpression finale de la stratĂ©gie dâobstruction utilisĂ©e par le milieu mĂ©dical pour empĂȘcher le changement (2). â De fait, sur les 22 mĂ©decins membres du parlement, aucun nâaura votĂ© en faveur du paragraphe 1 de la rĂ©solution finale. QuâĂ cela ne tienne ! Ce paragraphe a Ă©tĂ© votĂ©, qui â demande Ă la Commission europĂ©enne de sâengager dans un processus de reconnaissance des mĂ©decines non-conventionnelles â.
Le paragraphe 2, lui, âdemande Ă la Commission dâĂ©laborer en prioritĂ© une Ă©tude approfondie sur lâinocuitĂ©, lâopportunitĂ©, le champ dâapplication et le caractĂšre complĂ©mentaire et/ou alternatif de chaque discipline non-conventionnelle, ainsi quâune Ă©tude comparative entre les modĂšles juridiques nationaux auxquels sont affiliĂ©s leurs praticiens.â
Aujourdâhui, si la premiĂšre demande attend toujours rĂ©ponse la seconde est assez largement satisfaite. GrĂące au programme COST B4 (coopĂ©ration science et technologie), il a Ă©tĂ© montrĂ© quâune vaste littĂ©rature scientifique plaidait dĂ©jĂ en faveur de ces mĂ©decines, mais aussi que le statut juridique de certaines dâentre elles dans tel ou tel pays rendait incontournable, Ă terme, leur reconnaissance par les autres. Quoique peu concrets, les acquis de cette rĂ©solution sâavĂšrent surtout considĂ©rables au niveau symbolique. Les mĂ©decines alternatives nâont pas seulement gagnĂ© un nouveau nom. Sont proposĂ©s Ă©galement des critĂšres pour leur future reconnaissance : âbĂ©nĂ©ficier dâune certaine forme de reconnaissance lĂ©gale dans certains Etats membres, disposer dâune structure organisationnelle au plan europĂ©en et disposer dâun mĂ©canisme dâauto-rĂ©glementationâ (3). Outre de belles intentions, cette rĂ©solution offrirait-elle comme un programme de route ? Lâavenir ne dĂ©pend pas seulement du bon vouloir de la Commission.
1 - Médecines traditionnelles et couverture des soins de santé, OMS, 1983.
2 - Vers un statut des médecines complémentaires en Europe, Paul Lannoye, intervention au Entretiens internationaux de Monaco, 1999.
3 - Résolution sur le statut des médecines non-conventionnelles, 1997, Parlement européen
Ă lire : MĂ©decines non-conventionnelles et droit, Isabelle Robard, Ed. Litec, 2002.
merci
Voir l’article original sur le site du magazine Nouvelles ClĂ©s
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