Les médecines complémentaires en Europe

Posted by kineblog on February 03, 2008

Lu dans les commentaires déposés sur le site liberationdelacroissance (commission Attali):

REGLEMENTATION ET DROIT D’EXERCER DES MEDECINES DIFFERENTES
Voici un dossier du magazine Nouvelles ClĂ©s sur la situation des mĂ©decines en europe. Voir la personne dans sa totalitĂ© et pratiquer des valeurs de paix, de partage, de responsabilitĂ©, de respect de soi, de l’autre et de l’environnement. Oui je crois que cela mĂ©rite que l’on bouscule ceux qui en empĂȘchent la pratique.

Les médecines complémentaires en Europe
Par Sylvain Michelet.

Dans l’Europe de la mĂ©decine, tout diffĂšre : systĂšmes de santĂ©, dĂ©finitions et pratiques mĂ©dicales, pharmacopĂ©es, influence des patients, des mĂ©decins et des industriels auprĂšs des autoritĂ©s, ouverture aux thĂ©rapies alternatives. Jusqu’au statut lĂ©gal du mĂ©decin lui-mĂȘme, qui reste pourtant le seul Ă©lĂ©ment de comparaison ne demandant pas une redĂ©finition pour chaque pays. Car actuellement, tout change. Ainsi, ne dites plus “mĂ©decines douces” (certaines ne le sont pas), ni “parallĂšles” (elles peuvent se rencontrer), ni mĂȘme “alternatives” ou “complĂ©mentaires” (cela reste Ă  dĂ©finir). Le terme officiel dĂ©sormais : “mĂ©decines non-conventionnelles”.

Seulement trois points communs
Le premier point fleure bon le Moyen Age : partout en Europe, la pratique de la mĂ©decine ambulante est expressĂ©ment interdite. Qui veut soigner doit s’installer. Le second rappelle MoliĂšre : partout, la loi protĂšge le titre de docteur en mĂ©decine. Le troisiĂšme dessine un avenir : partout, l’influence exercĂ©e sur la sociĂ©tĂ© par le lobby pharmaceutique et la pensĂ©e mĂ©dicale allopathique semble faiblir.

ProgrÚs des médecines alternatives
La pression du public se confirme, dans les sondages d’opinion comme dans l’usage en constante augmentation. De plus, les considĂ©rations budgĂ©taires incitent les autoritĂ©s Ă  prendre en compte les avantages de ces thĂ©rapies souvent moins coĂ»teuses. Question : serviront-elles de cheval de Troie aux dĂ©manteleurs du systĂšme de prise en charge collective ou contribueront-elles Ă  sa sauvegarde ?

Des pays de tradition libérale plus ou moins rÚglementée
En IRLANDE et au ROYAUME UNI, en vertu du droit coutumier, la libertĂ© de soigner est totale. Seules interdictions : la pratique ambulante et l’usurpation du titre de medical doctor. En 1993 et 94, le ROYAUME UNI a rĂ©glementĂ© l’ostĂ©opathie et la chiropractie, avec protection officielle des titres et organisation de chaque profession. Un Conseil Ă©dicte un code de bonne conduite et contrĂŽle les formations. Il en sera bientĂŽt de mĂȘme pour la phytothĂ©rapie et l’acupuncture. Cette politique d’intĂ©gration des thĂ©rapies alternatives dans le systĂšme de santĂ© (“ integrated healthcare ”) bĂ©nĂ©ficie d’un soutien actif de la part du Prince Charles.

En SCANDINAVIE rĂšgne le principe suivant : tout ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisĂ©. Sont interdites aux non-mĂ©decins, depuis 1936 en NORVÈGE (outre la pratique ambulante et l’usurpation de titre), la chirurgie, l’anesthĂ©sie, les piqĂ»res, la prescription de mĂ©dicaments soumis Ă  ordonnance. La SUÈDE a imposĂ© les mĂȘmes interdictions en 1960, ajoutant le traitement de certaines maladies contagieuses et, en 1982, du cancer. Le DANEMARK a adoptĂ© des lois similaires dans les annĂ©es 70, interdisant en outre la pratique de l’accouchement et le soin aux mineurs ou aux malades mentaux. Pendant les annĂ©es 90, la chiropractie a Ă©tĂ© lĂ©galement reconnue comme profession de santĂ© dans ces deux pays et en FINLANDE.

L’ALLEMAGNE a instituĂ© la libertĂ© de soigner en 1873, mais se distingue par l’instauration, en 1939, du statut de “ Heilpraktiker ” (praticien de santĂ©). Aucune formation spĂ©cifique n’est exigĂ©e, mais une autorisation d’exercer ( “ Erlaubnis ”) impose un examen devant une commission fĂ©dĂ©rale et des interdictions comparables Ă  celles des pays nordiques. Les mĂ©dicaments anthroposophiques et homĂ©opathiques sont inclus dans la pharmacopĂ©e nationale et, depuis 1978, une commission spĂ©cifique Ă  chacune de ces disciplines a Ă©tĂ© instaurĂ©e au sein du systĂšme fĂ©dĂ©ral de santĂ©. Les ostĂ©opathes, quant Ă  eux, bĂ©nĂ©ficieront bientĂŽt d’un statut particulier.

La SUISSE est un cas spĂ©cial. Chaque canton Ă©tant maĂźtre de sa rĂ©glementation mĂ©dicale, elle est traditionnellement plus libĂ©rale en Suisse alĂ©manique qu’en Suisse romande. Mais surtout, la chiropractie a bĂ©nĂ©ficiĂ© dĂšs 1937 de statuts spĂ©cifiques. Elle est intĂ©grĂ©e au systĂšme fĂ©dĂ©ral d’assurance maladie depuis 1964, au mĂȘme titre que la mĂ©decine ou l’art dentaire. Diverses thĂ©rapies alternatives sont reconnues localement et remboursĂ©es par les assurances complĂ©mentaires. Depuis deux ans ce mouvement s’accĂ©lĂšre dans les cantons francophones, qui avaient gĂ©nĂ©ralement abrogĂ© le monopole des mĂ©decins au cours des prĂ©cĂ©dentes dĂ©cennies (1984 pour GenĂšve).

Des pays de traditions restrictive plus ou moins corporatiste
Il y a peu de temps encore, cette tradition atteignait son maximum en BELGIQUE oĂč “l’art de guĂ©rir” rĂ©servĂ© aux mĂ©decins ne comprenait pas seulement le soin et le diagnostic, comme en France, mais aussi le simple “examen de l’état de santĂ©â€ ! Tout a changĂ© en 1999 : sans abroger le monopole des mĂ©decins, le pays a instituĂ© un deuxiĂšme systĂšme de soins, en recourant Ă  la notion de “pratique ayant pour but d’amĂ©liorer et/ou de prĂ©server l’état de santĂ©â€. Il regroupe pour l’instant l’acupuncture, la chiropractie, l’homĂ©opathie et l’ostĂ©opathie en une commission paritaire chargĂ©e de les rĂ©glementer via leurs organisations professionnelles.

Aux PAYS BAS, la “BIG wet” ou “loi sur les professions du secteur des soins de santĂ© individuels” a mis fin en 1993 au monopole des mĂ©decins instaurĂ© depuis 1865. Elle autorise en principe Ă  quiconque la pratique mĂ©dicale, mais Ă©numĂšre les actes rĂ©servĂ©s aux mĂ©decins et introduit une disposition pĂ©nale : nuire Ă  la santĂ© est passible d’une peine.

La plupart des pays d’Europe du Sud et de l’Est amorcent des changements. Soit par le biais d’une reconnaissance comme spĂ©cialitĂ©s des disciplines alternatives pratiquĂ©es par des mĂ©decins (AUTRICHE en 2002, ITALIE et TCHÉQUIE concertations en cours), ou par la crĂ©ation de nouvelles professions libĂ©rales soumises Ă  rĂ©glementation (organisation, formation, contrĂŽle et protection du titre). En ESPAGNE, oĂč la pratique illĂ©gale de la mĂ©decine s’appelle “intruismo” (intrusion dans une profession protĂ©gĂ©e), ces dĂ©tails ont leur importance : la naturopathie et l’acupuncture ont Ă©tĂ© reconnues par le ministĂšre des Finances en 90. Une autorisation d’ouvrir des centres de formation Ă  la chiropractie a suivi en 91. Et au PORTUGAL, c’est le ministĂšre du Travail qui reconnaĂźt depuis 1994 les professions d’acupuncteur, d’homĂ©opathe et de naturopathe, tous “naturologistes”. Boomerang ! : en 99, un loi interdisant toutes les mĂ©decines alternatives Ă©tait votĂ©e. Le prĂ©sident portugais a mis son veto. Les consultations continuent.

La HONGRIE cherche à y voir clair. Elle dissocie depuis 1997 les techniques alternatives réservées aux docteurs en médecine (homéopathie, médecines manuelle, ayurvédique, tibétaine, chinoise et anthroposophique) et celles ouvertes aux non-médecins (acupression et massage, kinésiologie, physiothérapie, bioénergie, phytothérapie).

La FRANCE n’a pas changĂ©, malgrĂ© les timides dĂ©buts de la commission Nicolas sur l’ostĂ©opathie et la chiropractie (2002). Seules l’acupuncture et l’homĂ©opathie sont reconnues comme orientations mĂ©dicales, mais non comme spĂ©cialitĂ©s. Pour l’Ordre national des mĂ©decins, elles font partie avec les autres mĂ©decines non-conventionnelles des “pratiques mĂ©dicales non-Ă©prouvĂ©es” qui mĂ©ritent d’ĂȘtre, au grĂ© des rapports et des institutions, tantĂŽt dĂ©nigrĂ©es et bannies, tantĂŽt soumises Ă  des Ă©tudes
 jamais prĂ©vues au budget.

Vers une harmonisation européenne ?
Ainsi, on peut pratiquer n’importe quelle thĂ©rapie en Irlande et au Royaume Uni ? Ainsi un Heilpraktiker allemand commet chaque jour des actes qui lui vaudraient en France une condamnation ? VoilĂ  qui fait apparaĂźtre l’archaĂŻsme de l’exception française, et pousse Ă  penser que les mĂ©decines alternatives auront tout Ă  gagner, dans ce pays, d’une harmonisation des lĂ©gislations Ă  l’échelle europĂ©enne ! VoilĂ  qui montre aussi, au passage, combien un tel regard est finalement français : vu d’Irlande au contraire, cette harmonisation signifiera une perte de libertĂ©. Mais qui voudrait d’une complĂšte libĂ©ralisation ? Et Ă  l’échelle europĂ©enne, quel est l’enjeu, la libertĂ© d’exercer ou l’emprise de la mĂ©decine allopathique ?
Le dĂ©bat contre le blocage statutaire dans tel ou tel pays particuliĂšrement rĂ©trograde ou pour leur reconnaissance par la science et les institutions ? Telles sont les questions qui agitaient les militants de ces mĂ©decines au dĂ©but de la dĂ©cennie 90, lorsque comme leurs homologues de la cause environnementale, ils se sont tournĂ©s pleins d’espoir vers les institutions de l’Europe. L’Organisation Mondiale de la SantĂ© ne montrait-elle pas l’exemple ? Elle reconnaissait dĂšs 1976 l’importance des mĂ©decines traditionnelles, dĂ©finies comme liĂ©es Ă  une tradition ancienne (comme l’acupuncture et la culture chinoise) et “par opposition Ă  la mĂ©decine scientifique moderne officielle ou allopathie”(1). De plus, elle forgeait dĂšs 83 le terme bienvenu de “mĂ©decines non-conventionnelles” pour dĂ©signer celles qui ne sont ni traditionnelles ni allopathiques (comme l’homĂ©opathie, la kinĂ©siologie ou la mĂ©decine anthroposophique). L’Europe semblait le lieu idĂ©al oĂč porter le dĂ©bat : les diffĂ©rences d’approches et de droits entre les pays se montraient incompatibles avec la libre circulation des citoyens europĂ©ens instaurĂ©e par le TraitĂ© dans ses articles 52 Ă  66, qui incluent la libertĂ© d’établissement pour les praticiens.
Apparaissaient d’autres incohĂ©rences : depuis 92, une lĂ©gislation communautaire spĂ©cifique rĂ©glemente les mĂ©dicaments homĂ©opathiques alors que l’homĂ©opathie n’est pas reconnue comme une discipline mĂ©dicale. Le dĂ©bat eut bien lieu, au Parlement europĂ©en de Strasbourg comme il se doit. Il prit d’abord la forme, entre 92 et 96, d’une vaste consultation des milieux associatifs et professionnels liĂ©s aux mĂ©decines alternatives, organisĂ©e par la commission de l’environnement et de la santĂ©, sous la houlette de Paul Lannoye, dĂ©putĂ© belge Ă©cologiste et docteur Ăšs sciences. Et si nous retrouvons ici le docteur Kempenich, c’est parce qu’il participa activement aux travaux, en tant que prĂ©sident de la plus grande association de mĂ©decins non-conventionnels en Europe, riche de 43 000 mĂ©decins. “Il nous a fallu dĂ©chanter, raconte-t-il aujourd’hui. Apprendre d’abord que ces consultations ne dĂ©boucheraient en aucun cas sur une proposition de loi, car le Parlement n’a pas cette initiative, mais uniquement celle de “rĂ©solutions” invitant la Commission europĂ©enne Ă  lĂ©gifĂ©rer.
Voir ensuite le milieu exposer ses dissensions au grand jour, certains mĂ©decins venaient avec leur avocat, craignant la chasse aux sorciĂšres. Et enfin le 27 mai 97, il a fallu voir, rĂ©uni en sĂ©ance plĂ©niĂšre, le Parlement rĂ©duire et dĂ©naturer, d’amendement en amendement, la proposition de rĂ©solution dĂ©fendue par Paul Lannoye. Ce dernier coup fut rude, mĂȘme si nous savions que les parlementaires avaient subi un rude lobbying.”
“Le poids du lobby mĂ©dical a en effet Ă©tĂ© suffisant pour affaiblir dans une large mesure la prise de position politique du parlement, reconnaĂźt le dĂ©putĂ© Paul Lannoye.
En derniÚre minute, un amendement déposé par les députés socialistes français, belges et espagnols a été voté de justesse, supprimant du texte de la résolution toute demande relative à une législation communautaire.
C’était l’expression finale de la stratĂ©gie d’obstruction utilisĂ©e par le milieu mĂ©dical pour empĂȘcher le changement (2). ” De fait, sur les 22 mĂ©decins membres du parlement, aucun n’aura votĂ© en faveur du paragraphe 1 de la rĂ©solution finale. Qu’à cela ne tienne ! Ce paragraphe a Ă©tĂ© votĂ©, qui “ demande Ă  la Commission europĂ©enne de s’engager dans un processus de reconnaissance des mĂ©decines non-conventionnelles ”.
Le paragraphe 2, lui, “demande Ă  la Commission d’élaborer en prioritĂ© une Ă©tude approfondie sur l’inocuitĂ©, l’opportunitĂ©, le champ d’application et le caractĂšre complĂ©mentaire et/ou alternatif de chaque discipline non-conventionnelle, ainsi qu’une Ă©tude comparative entre les modĂšles juridiques nationaux auxquels sont affiliĂ©s leurs praticiens.”
Aujourd’hui, si la premiĂšre demande attend toujours rĂ©ponse la seconde est assez largement satisfaite. GrĂące au programme COST B4 (coopĂ©ration science et technologie), il a Ă©tĂ© montrĂ© qu’une vaste littĂ©rature scientifique plaidait dĂ©jĂ  en faveur de ces mĂ©decines, mais aussi que le statut juridique de certaines d’entre elles dans tel ou tel pays rendait incontournable, Ă  terme, leur reconnaissance par les autres. Quoique peu concrets, les acquis de cette rĂ©solution s’avĂšrent surtout considĂ©rables au niveau symbolique. Les mĂ©decines alternatives n’ont pas seulement gagnĂ© un nouveau nom. Sont proposĂ©s Ă©galement des critĂšres pour leur future reconnaissance : “bĂ©nĂ©ficier d’une certaine forme de reconnaissance lĂ©gale dans certains Etats membres, disposer d’une structure organisationnelle au plan europĂ©en et disposer d’un mĂ©canisme d’auto-rĂ©glementation” (3). Outre de belles intentions, cette rĂ©solution offrirait-elle comme un programme de route ? L’avenir ne dĂ©pend pas seulement du bon vouloir de la Commission.

1 - Médecines traditionnelles et couverture des soins de santé, OMS, 1983.
2 - Vers un statut des médecines complémentaires en Europe, Paul Lannoye, intervention au Entretiens internationaux de Monaco, 1999.
3 - Résolution sur le statut des médecines non-conventionnelles, 1997, Parlement européen

À lire : MĂ©decines non-conventionnelles et droit, Isabelle Robard, Ed. Litec, 2002.
merci

Voir l’article original sur le site du magazine Nouvelles ClĂ©s

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